Si j’étais un paysage

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer déchaînée,

Avec des poissons qui voleraient dans les airs,

Qui s’entrechoqueraient comme des épées

Qui se mordraient comme des damnés

Qui s’accrocheraient à des hameçons imaginaires

Qui mourraient par milliers

Et qui ricocheraient à l’infini…

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer aux murailles de corail arrachées,

Toutes blanches, de la couleur de la mort,

Je serais une mer soulevée,

Avec des vagues, à engloutir,

Les arbres, les maisons, les Hommes et la terre entière…

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer sevrée,

Une mer sans sel,

Avec des méduses agonisantes,

Avec des algues comme des cordons,

Qui s’enrouleraient autour des octopus géants,

Et qui feraient jaillir une encre noire aveuglante,

Avec des calamars aux tentacules sans ventouses,

En lambeaux, éparpillés dans l’eau bouillonnante…

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer écumante

Avec un courroux à faire trembler les montagnes,

A faire remonter les tables de la loi chez dieu,

Dans son royaume, entre deux cieux,

A faire éclater les cœurs des mères dans leurs cages thoraciques,

A faire vomir les pestiférés, quand ils n’auraient plus rien à vomir,

A faire exploser les bubons recouverts de sel…

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer asséchée,

Avec des ravins nus, des boursouflures, des odeurs nauséabondes,

Des putréfactions spectaculaires,

Je serais une mer en décomposition,

Une mer à qui, on a retiré sa sève,

Et qui jonchée, de cadavres, ne pourrait même pas pleurer ses morts…

Si j’étais un paysage,

Je serais une mer sans sirènes,

Sans Ulysse et sans retour possible,

Je serais une mer acide au parfum d’Hadès,

J’exhalerais l’arôme des cerbères,

Je serais l’hydre-mer, à l’hydromel amer,

Je serais la mer du tohu-bohu,

De l’éternel achèvement, de l’infini néant…

Si j’étais un paysage,

Je ne vaudrais même pas la peine,

Qu’on me jetât un seul coup d’œil…

Si j’étais un paysage,

Je ne serais pas…

Houda ZEKRI

Saint-Denis, le 12 janvier 2015